Mars 2014 by Le Monde diplomatique

Mars 2014 by Le Monde diplomatique

Auteur:Le Monde diplomatique [Le Monde diplomatique]
La langue: fra
Format: epub, mobi, azw3
Éditeur: Le Monde diplomatique
Publié: 2014-02-27T00:00:00+00:00


Des tubercules à l’aspect étrange

Pour qui vient de la ville, c’est un mélange d’appréhension et de plaisir que d’écouter, dans cette zone dégagée de la jungle, le chant d’oiseaux inconnus se mêlant aux cris d’animaux invisibles. Le feuillage s’épaissit peu à peu, au loin, jusqu’à se fondre en un majestueux lavis vert.

Mais M. Medardo Shingre nous arrache à notre rêverie. C’est un paysan qui vit à Tarapoa depuis environ quarante ans ; il fait partie des trente mille victimes de Texaco. Les terres de sa ferme sont empoisonnées. Et ce n’est pas une figure de style : sur un large périmètre, partout où il enfonce un bâton d’à peine vingt centimètres, la terre recrache du pétrole brut. Oh, la nature s’adapte : des bananes adultes de très petite taille ; des tubercules à l’aspect étrange ; des fruits et des feuilles qui restent sans couleur. A première vue, le terrain paraît normal, compact. Mais, avec la chaleur, il ramollit, colle aux chaussures.

Dans les provinces de Sucumbíos et d’Orellana, la mortalité due au cancer atteint le triple de la moyenne nationale. 43 % des familles touchées consommaient de l’eau recueillie à une distance allant de cent à deux cent cinquante mètres de la source de contamination (4). La femme de Yuca se souvient que les responsables de la compagnie avaient expliqué à son père que le cancer, chez les Indiens, était dû à un manque d’hygiène. Elle n’oublie pas non plus cet homme blond qui leur avait assuré que l’eau souillée de pétrole les rendrait plus forts : « Après tout, cela permet de faire avancer les camions ! »

En 1992, Texaco a quitté le pays. Le 3 novembre 1993, des paysans et des Indiens d’Orellana et de Sucumbíos, soutenus par des ONG, principalement américaines, ont porté plainte contre la compagnie devant un tribunal de New York. Ils l’accusaient de dommages environnementaux et sanitaires. Six mois plus tard, une vingtaine d’organisations populaires et de communautés de la région s’unissaient pour soutenir la plainte de l’Union des victimes des opérations de Texaco (Updat). Le Front de défense de l’Amazonie était né.

Trois ans plus tard, soucieuse d’éviter une action judiciaire, Texaco signait avec le gouvernement équatorien de l’époque un plan d’action et de réparation : la compagnie s’engageait à nettoyer cent soixante-deux bassins. « Elle a tout simplement fait appel à un sous-traitant pour qu’il jette de la terre dessus, se souvient M. Shingre. Mais, en recouvrant les bassins, elle a aggravé le problème, car le pétrole est resté intact, et la contamination des sols s’est accentuée. »

En 1998, le gouvernement et Texaco signent l’acte de Finiquito, qui met l’entreprise à l’abri de toute plainte de l’Etat après la « réparation ». Peu importe les trente mille sinistrés, non indemnisés…

Mais le procès continue, et l’entreprise fait pression pour qu’il soit transféré devant la justice équatorienne, s’engageant même à respecter la décision des tribunaux ! M. Pablo Fajardo, un jeune avocat qui a grandi dans cette région, explique la manœuvre : Texaco avait « de l’influence sur le système politique et judiciaire.



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